
Aujourd’hui, l’inclusivité est une priorité, et l’accessibilité des musées est donc fondamentale pour garantir à tous·tes un accès à la culture. Pour les personnes en situation de handicap pourtant, de nombreux établissements demeurent difficiles d’accès en raison de barrières physiques, sensorielles ou cognitives.
Dans le cadre de son programme de cours, la promotion MAGEMI 16 a eu l’opportunité de participer à un atelier très enrichissant sur l’accessibilité des personnes en situation de handicap au musée, animé par Clémence Troussier, chargée de médiation au musée de Bretagne. Après un temps d’échange sur le handicap, nous avons discuté des différents besoins des publics et des dispositifs à mettre en place pour améliorer le confort et l’inclusion de chacun·e. Nous nous sommes ensuite rendu·es dans le parcours d’exposition du musée de Bretagne afin d’envisager les démarches d’inclusivité mises en place dans les lieux.
Dans le but de mieux appréhender les difficultés qui peuvent être rencontrées par les personnes en situation de handicap visuel, Clémence Troussier nous a proposé d’explorer le parcours en binôme, les yeux bandés. Cette immersion nous a permis de prendre conscience des obstacles invisibles auxquels peuvent être confrontées les personnes malvoyantes. Nous avons également expérimenté les tablettes en relief utilisées lors des visites adaptées à ces publics. Ces supports tactiles permettent une interaction plus immersive et didactique avec les œuvres.



Cette expérience pratique fut particulièrement stimulante, au regard notamment des évolutions législatives et des débats qu’elles ont suscités. Vingt ans après avoir été adoptée, quel bilan peut-on ainsi dresser de la loi du 11 février 2005 ?
Si plusieurs lois en faveur des droits et de l’inclusion des personnes en situation de handicap ont été votées dans la deuxième moitié du XXe siècle, la France ne possède pas de législation imposant des contraintes réelles. Le 5 mars 1997, en conseil des ministres, Jacques Chirac, alors président de la République depuis mai 1995, qualifie de « véritable honte pour notre pays l’incapacité dans laquelle nous sommes de faire face au problème de l’accessibilité des lieux publics et des moyens de transports par les handicapés »1.
En 2002, Jacques Chirac, élu pour la seconde fois, réaffirme sa volonté de faire du handicap sa priorité et met en place une politique sociale dont les applications se veulent plus concrètes. En 2005, la politique du handicap est refondée avec l’adoption de la loi du 11 février 2005, aussi appelée 2005-102, car elle est la 102e loi promulguée en 2005. Cette loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées renonce à une approche médicale du handicap pour favoriser l’inclusion. Elle est la première à définir ce qu’est le handicap :
Art. L. 114. – Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant2.
Plusieurs axes de travail sont constitués : scolarité, ressources, droit à la compensation, insertion professionnelle, etc. Nous nous concentrerons ici sur l’accessibilité. Il s’agit d’un domaine d’action central de la loi. Le handicap étant défini comme résultant d’un environnement inadapté, la loi fixe l’obligation d’accessibilité au 1er janvier 2015 pour tous les ERP [Établissement Recevant du Public].
Elle détermine des délais à respecter qui varient selon le domaine et prévoit des sanctions en cas d’infraction. L’accessibilité ne s’applique pas seulement au cadre bâti, il s’agit aussi de considérer toute la chaine de déplacement : ainsi les transports publics et les contenus numériques sont concernés par la loi. Cette loi engage donc une avancée considérable en matière de politique à l’égard des personnes en situation de handicap. On peut néanmoins s’interroger aujourd’hui sur son application et ses limites.
Arrêtons-nous en 2015, année où l’ensemble des ERP devaient être rendus accessibles. Le 12 mars 2015, le sénateur Olivier Cadic déclarait : « Qu’est-ce que l’accessibilité ? En France, il faut croire que c’est un rêve…3 » Et de poursuivre : « Et voilà que le gouvernement socialiste veut oublier les échéances de la loi du 11 février 2005. » En effet, presque dix ans après l’adoption de la loi, en 2014, une ordonnance rallonge les délais de mise aux normes. Des Agendas d’Accessibilité Programmée (Ad’AP) sont instaurés. Ils permettent aux ERP d’obtenir entre trois et dix années supplémentaires pour engager les modifications nécessaires. À titre d’exemple, les monuments historiques bénéficient dès lors d’un délai de dix ans. Olivier Cadic cite Philippe Croizon, amputé des quatre membres, qui avait initié une campagne et une pétition incitant le gouvernement à se ressaisir : « Accessibilité : la liberté d’aller et de venir ne peut pas attendre 10 ans de plus !4 ». Cette prolongation sonne comme un constat d’échec. En 2021, un bilan révèle que sur deux millions d’ERP en France, seulement la moitié ont été rendus accessibles. Parmi eux, 700 000 sont entrés dans un processus d’accessibilité et 350 000 l’étaient déjà avant 20155.
Selon une étude menée par la Fondation Malakoff Humanis Handicap, en 2022, 75% des personnes handicapées déclaraient avoir fréquenté un lieu culturel au moins une fois par an. Pour 48% d’entre elles, l’accès à la culture s’était récemment amélioré. Une nuance toutefois : « Tous, personnes handicapées et accompagnants, pensent que de nombreux freins persistent (accès, coût, affluence…) et sont en attente de dispositifs rendant plus facile la fréquentation des événements culturels.6 »
Si la loi de 2005 a permis de franchir un cap dans la reconnaissance du handicap et dans l’accessibilité des lieux publics, les musées continuent d’adapter leurs dispositifs pour garantir une véritable ouverture. L’exposition itinérante Prière de toucher ! L’art et la matière, actuellement présentée au musée des beaux-arts de Rennes, est un exemple de démarche d’inclusivité. Elle met en lumière l’importance de la sensibilité tactile comme moyen d’accès à l’art, en particulier pour les personnes en situation de handicap visuel. En proposant l’exploration par le toucher de reproductions de sculptures, l’exposition replace la texture et la matière au cœur de l’expérience artistique, offrant ainsi une nouvelle forme d’interaction avec les œuvres pour l’ensemble des publics, tout en favorisant l’inclusion.
C’est par ce genre d’initiatives et grâce aux dispositifs de médiation mis en place que les musées tendent progressivement à devenir des espaces plus ouverts et inclusifs.
Mathilde Palhier
[1] VIE-PUBLIQUE.FR, 30 janvier 2024, « Chronologie : évolution du regard sur les personnes handicapées », Vie-publique.fr. Consulté le 26/01/2025. URL : https://www.vie-publique.fr/eclairage/19409-chronologie-evolution-du-regard-sur-les-personnes-handicapees
[2] Loi n°2005-102, 11 février 2005, pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (1), NOR : SANX0300217L, « Art. L. 114. ». Consulté le 26/01/2025. URL : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000809647/
[3] ASSEMBLÉE NATIONALE, 12 mars 2015, « Compte rendu intégral des débats. Séance du 12 mars 2015 », senat.fr. Consulté le 26/01/2025. URL : https://www.senat.fr/seances/s201503/s20150312/s20150312006.html
[4] Ibid.
[5] HANDICAP.GOUV.FR, 26 mai 2021, « Vous êtes dans un établissement recevant du public (ERP) ? Devenez accessible ! », handicap.gouv.fr. Consulté le 26/01/2025. URL : https://handicap.gouv.fr/vous-etes-dans-un-etablissement-recevant-du-public-erp-devenez-accessible
[6] FONDATION HANDICAP MALAKOFF HUMANIS, 2 février 2023, « Enquête Handicap & culture : des progrès mais encore des attentes », Fondation Handicap Malakoff Humanis. Consulté le 26/01/2025. URL: https://fondationhandicap.malakoffhumanis.com/etudes/enquete-handicap-culture-progres-mais-encore-des-attentes/