Mercredi 12 février, 11h
Visite de l’exposition Migrations, une odyssée humaine au Musée de l’Homme

Guidé·es par Éléonore Gros, cheffe de projets exposition au Musée de l’Homme, nous avons découvert l’envers du décor de ce projet ancré dans les enjeux contemporains de notre société.

Le point de départ de l’exposition se trouve être la publication d’un manifeste sur la migration publié par le Musée de l’Homme en 2018. Dès lors, l’idée de concevoir une exposition sur les migrations humaines apparaît comme une évidence. Une équipe de quinze personnes s’investit dans le projet pendant près de deux ans, formant un comité scientifique pluridisciplinaire composé notamment de juristes, d’archéologues, de paléontologues, de sociologues et d’historien·nes. Ensemble, elles et ils ont souhaité partir des migrations contemporaines pour ensuite faire un bond dans le passé. Ce discours prend vie à travers un parcours riche en manips et dispositifs numériques, qui permet de répondre aux attentes du public.

Le choix d’aborder les migrations s’explique par la publication du manifeste, mais aussi par l’actualité. Le Musée de l’Homme déconstruit ainsi en quatre temps, et avec beaucoup de neutralité, les discours empreints de peurs et de stéréotypes. D’abord, ce sont les imaginaires qui sont abordés à travers l’image et le vocabulaire de la migration, puis c’est un état des migrations contemporaines qui est proposé à l’attention des visiteur·ses. À l’issue de ces deux séquences, le public plonge dans le passé par l’étude des migrations anciennes. L’exposition se clôt sur une approche élargie en abordant, par exemple, les migrations du vivant et la notion d’hospitalité.

2025-blog-visite11
2025-blog-visite06


L’introduction est pensée comme une plongée iconographique s’ouvrant sur « Les mots de la migration », sa première salle. Une projection confronte alors plusieurs temporalités, plusieurs migrations de l’histoire de l’humanité. Il est à noter que la scénographie rend accessible l’information, et ce de manière directe grâce des titres projetés au mur. Chaque espace est marqué par un seul mot et donne ainsi le cadre du discours : « migrant », « réfugié climatique », « étranger », etc. De cette volonté est née la sous-séquence intitulée « Tukkikat », du nom que se donnent en wolof les acteur·rices de ces migrations contemporaines. On apprend qu’en arabe soudanais, on parle de sarokh, en bambara/soninke de toukaranké et en arabe/persan afghan/hindi occidental, de gharib. Une sous-séquence abordant la peur de l’Autre met en lumière les discours haineux qui semblent figés dans le temps et l’instrumentalisation des données démographiques, tous deux révélateurs d’un contexte migratoire sous tension. Ici aussi, un champ lexical fort associé à ce dernier couvre les murs : celui des catastrophes naturelles. Pour les commissaire du projet, il était nécessaire de faire table rase de ces interprétations et de donner des clés de compréhension. 

Toujours dans ce souci pédagogique, l’omniprésence des textes est à relever tout le long du parcours. Le graphisme vient alléger ce choix en même temps qu’il instaure une distance entre les textes, afin que chaque espace conserve un caractère distinct dans la scénographie. Le nombre de signes (sans espaces) importe en ce qu’il traduit un effort de hiérarchisation entre les différents niveaux de textes : l’introduction contient entre 1 000 et 1 200 signes, les textes de parties entre 700 et 800, les textes de sous-parties entre 500 et 600, les textes de modules entre 250 et 300, les cartels développés enfin, près de 150. 

La scénographie a cela de particulier qu’elle fait le choix, dans les premières salles, de recourir à des palox, ces boîtes destinées au transport des légumes. D’ailleurs, à l’issue de l’exposition, la plupart d’entre elles seront renvoyées à leur propriétaire afin d’être remployées, ce qui permet au projet de s’inscrire dans une logique de développement durable. L’exposition sera également présentée à l’aéroport Charles de Gaulle et à la gare du Nord, sous une forme réduite afin qu’une partie des éléments scénographiques soit remployée. De même, un dossier des ouvrages exécutés, réalisé en amont, lui permettra d’être mise en itinérance à travers le monde.

2025-blog-visite07
2025-blog-visite12


La deuxième partie de l’exposition, dressant un état des lieux des migrations contemporaines, est introduite par un dispositif audiovisuel. La volonté de rompre avec les idées reçues sur les migrations est appuyée par une sélection cartographique, qui montre que les choix de couleurs et de symboles sont le reflet de discours parfois aux antipodes. Remarquons que les 25 cartes présentes dans le parcours ont été réalisées dans le cadre d’un partenariat avec ESRI France. Faisant suite à cet espace davantage instructif, un espace sensible se dessine à l’aune d’une scénographie plus intimiste, où des témoignages audiovisuels d’anciens migrants peuvent être visionnés par le public, en « face à face ». 

Cette présence scénographique est tout aussi remarquable dans le dernier espace dédié aux migrations contemporaines où sont abordées les notions de frontière, de « push and pull », de communication ou de mortalité. Toutes sont suggérées par une variété de dispositifs de médiation ainsi qu’une riche sélection d’iconographies et d’expôts prêtés par des associations œuvrant dans le secteur humanitaire, à l’instar de SOS Méditerranée.

« Migrations et évolutions ». Tel est le titre de la troisième et ultime partie de cette exposition. Ici encore, la scénographie exprime la volonté de donner une identité propre à chaque section par le choix d’une gamme chromatique plus « gaie ». Des cartes et des dispositifs audiovisuels augmentent la proposition : ils permettent aux publics de comprendre que les migrations se dessinent au fil des millénaires et que la compréhension de leur histoire évolue au gré des découvertes scientifiques. Après une série de modules présentant cette archéologie des migrations, le parcours laisse place à une mise en miroir avec les migrations contemporaines en abordant les cultes, les maladies, les langues et les savoir-faire notamment. En d’autres termes, cette dernière partie met en lumière le métissage et la diversité de notre humanité commune. De manière étonnante ou astucieuse, l’exposition n’offre pas de véritable conclusion, mais s’ouvre sur un dispositif participatif qui pose la question de l’hospitalité.

2025-blog-visite13
2025-blog-visite08


Migrations, une odyssée humaine est une exposition dite « de société », ce qui la différencie du modèle d’exposition dite « de préhistoire », développé par l’institution tous les deux ans. Ici, le parcours présente entre 150 et 200 objets, 18 audiovisuels et près de 350 iconographies. À cela s’ajoutent une vingtaine d’œuvres d’art contemporain exposées dans le double objectif de poser un regard sur l’actualité et de prendre discrètement position. Des partenariats ont donc été pensés dès les six premiers mois de conception et ont pu voir le jour avec le Mucem ou l’Ofpra notamment, mais aussi avec le musée de l’Air et de l’Espace ou celui de l’histoire de l’immigration. Ces choix coïncident avec le discours déployé à l’intérieur du parcours. 

Cette visite avec Eléonore Gros nous a enfin permis de prendre davantage conscience des enjeux qui gravitent autour de la notion de « droits iconographiques ». Dans le contexte de ce projet, deux possibilités ont été examinées. Soit l’institution faisait le choix de présenter une sélection d’iconographies restreinte, se chargeant elle-même de la recherche et de la communication avec les ayants droit. Soit le musée faisait appel à un·e iconographe. Finalement, c’est cette dernière option qui a été retenue par le Musée de l’Homme, faisant intervenir l’iconographe indépendante Nathalie Russo, qui a travaillé pendant un an et demi sur le projet.

2025-blog-visite15
2025-blog-visite14

Mercredi 12 février, 15h
Visite du nouveau parcours permanent en chantier au Musée de la musique

Cette dernière étape du périple parisien s’est faite en musique aux côtés d’Alexandre Girard-Muscagorry, conservateur du patrimoine à la Philharmonie de Paris. Nous avons pu observer à ses côtés l’avancée des chantiers du parcours permanent, conçu en réponse aux enjeux muséologiques contemporains de provenance et de valorisation des collections extra-européennes.

Depuis 1995 et son installation dans l’édifice imaginé par l’architecte Christian de Portzamparc, le parcours permanent n’avait pas changé. Bien sûr, quelques modifications avaient été menées autour de modules et vitrines, mais le chantier de refonte ne fut définitivement lancé qu’en 2021. La difficulté du parcours d’origine réside dans un récit centré sur la grande histoire de la musique savante européenne aux dépens de la création extra-européenne. Aujourd’hui, le défi est donc de changer de point de vue en apportant du dynamisme et de la contemporanéité au parcours, par le redéploiement d’instruments dans les premiers segments du musée et la rénovation complète de la section extra-européenne. Trois axes guident le chantier : la valorisation de figures importantes des XXe et XXIe siècles ; le dialogue entre musique et beaux-arts ; la création contemporaine en devenir.

Une première vitrine introduisant le parcours permanent reflète parfaitement cette volonté de changement. Auparavant, les collections extra-européennes étaient valorisées ici dans le simple but d’évoquer la « préhistoire » de la musique. Or, ce discours évolutionniste n’avait rien de légitime puisque les collections du musée dataient, pour les plus anciennes, du XVIe siècle. Désormais, l’importance est donnée à la notion d’identité muséale, qui s’incarne dans la richesse et la rareté des collections. La vitrine présente ainsi un panel d’instruments et d’objets dont les décors, les formes ou encore la biographie traduisent de nouvelles sensibilités. Par exemple, la guitare de Django Reinhardt côtoie le Poilu, ce violoncelle mythique qui fut construit par un soldat dans les tranchées de la Grande Guerre. Présenté sans cartel développé, cet ensemble est accompagné d’une médiation sonore et explicative à laquelle donne accès le guide d’écoute mis à la disposition des publics pour l’ensemble du parcours. La volonté derrière cette vitrine est de lier et faire dialoguer les histoires, les figures et les arts. La scénographie reste, pour sa part, souple et modulable grâce à la présence d’accroches qui permettent de remplacer à souhait les expôts. Le dispositif est emprunté à la scénographie de 1995, caractérisée par ses inserts et ses vitrines minimalistes.

2025-blog-visite09
2025-blog-visite10


L’importance donnée au dialogue est manifeste dans la vitrine consacrée à l’Inde du Nord où des parallèles sont dressés avec la musique de cour occidentale, à travers les décors notamment. Une autre vitrine explorant la « route des matériaux » fait la part belle aux expôts en ivoire ou en écaille de tortue tout en initiant une réflexion sur la circulation des motifs. La scénographie est ici encore très discrète afin de ne pas souligner la transformation du parcours permanent. En effet, le chantier s’effectuant en plusieurs phases, il était important d’harmoniser l’esthétique des vitrines et de veiller à ne pas les particulariser au sein du discours. Une dernière nouveauté réside dans la mention des provenances sur les cartels et le respect du nom d’origine des instruments de musique, y compris dans les choix de translittération incluant des signes diacritiques.

À l’étage, ce sont quatre nouvelles vitrines qui ont été repensées dans leur entièreté afin de faire dialoguer les collections avec leur histoire. Dans l’une d’entre elles, la question de l’esclavage est abordée au prisme de la facture instrumentale en évoquant à la fois l’ornementation (portraits caricaturaux ou fétichisés) et la conception d’instruments par les personnes esclavisées elles-mêmes. Un rare exemple de banza (luth), acquis par Victor Schœlcher à Haïti, y est exposé. Dans une autre vitrine sont explorés les échanges musicaux entre la Chine et les jésuites ; on observe un orgue à bouche envoyé en Europe par le père Amiot. Plus loin dans le parcours, un espace autrefois dédié à l’histoire occidentale du violon expose désormais des exemples venus des quatre coins du monde afin de valoriser la dimension transculturelle de l’instrument. Des items provenant de collections extérieures, à l’instar du Mucem ou du musée du quai Branly – Jacques Chirac, prêtés ou déposés, viennent compléter la sélection.

2025-blog-visite16
2025-blog-visite17


L’ultime espace du parcours, « Des musiques et des mondes », est encore en travaux. Il faudra attendre le 17 mai prochain pour le découvrir. Plus ouvert, aéré et segmenté, il proposera une série d’histoires musicales singulières et connectées. Deux projections apporteront une dimension plus immersive à cet espace. L’une d’entre elles, visible jusqu’au 23 mars 2025 au musée du quai Branly, introduit les wayang kulit ou théâtres d’ombres de Java et Bali où la musique résonne. Une place sera enfin accordée à la création contemporaine afin d’ancrer le parcours dans l’actualité la plus récente et questionner les récits musicaux dominants.

Fait remarquable, un poste de chargée de recherche en provenance a récemment été créé au musée. Il reflète l’attention portée par celui-ci aux trajectoires d’objets, qu’elles relèvent de spoliations, d’échanges diplomatiques ou de circulations plus inattendues. À l’issue du chantier de réaménagement sera publié L’instrument monde : une histoire globale de la musique, ouvrage documentant toutes ces années de recherche et de conception d’un nouveau regard sur les collections d’instruments de musique.

Pia Leroux

2025-blog-visite18