Une exposition du 4 décembre 2021 au 4 septembre 2022
Petite salle ronde aux murs et drapés noirs : lourds rideaux de velours. Minuscule statuette de femme aux parties du corps et organes retirables, à la manière des poupées russes : il s’agit d’un objet d’enseignement et de fascination pour les mystères du corps. Ouvrage ouvert, gravure d’une femme dénudée dos ouvert des épaules au sacrum : c’est un « Ange anatomique » qui dévoile sa chair et ses os. L’univers tamisé étonne. Nous voici entrés dans La nature pour modèle, une exposition temporaire réalisée par l’Écomusée de la Bintinais. Son propos ? Retracer l’histoire d’objets pédagogiques : des modèles en volume, sortes de maquettes du vivant, de l’anatomie humaine, animale et végétale.
Naissance et essor des modèles pédagogiques : pour un apprentissage des sciences
La découverte s’articule en quatre salles. La première explore l’intérêt croissant pour le vivant, de la Renaissance au XVIIIe siècle. Ronde, elle s’articule autour de l’idée du « théâtre anatomique », édifice où l’on effectuait des dissections en public. De la même manière, un mannequin anatomique « de la maternité » – une femme allongée aux organes et fœtus mobiles – est présentée au milieu de l’espace. On tend inévitablement à s’approcher pour observer le surprenant ouvrage fait d’ivoire. Ne doit-on pas souligner ici l’ingéniosité du dispositif scénographique, plongeant le visiteur dans la posture du curieux ou de l’apprenant ? Si la présentation d’une gravure du théâtre anatomique de Leyde (Pays-Bas) permet d’expliciter les choix effectués dans cette salle, on pourrait ajouter que le théâtre sied également au registre de la curiosité. Les curiosités, objets des natures et des civilisations du monde, étaient rassemblés en une pièce ou un meuble : des cabinets de curiosités parfois qualifiés de théâtres du monde (theatrum mundi). Or, les « mystères du vivant », titre du premier chapitre de cette exposition, fascinent hommes et femmes du siècle qui intègrent dans leurs cabinets ces objets à vocation pédagogique.
Au sortir de ce théâtre intimiste et feutré, nous pénétrons dans une seconde salle plus vaste, surplombée de part et d’autre de hautes vitrines éclairées. Ce jeu de contraste entre les deux premiers espaces témoigne de bien des aspects : le développement des sciences naturelles au XIXe siècle et des collections muséales qui leurs sont liées. Les modèles pédagogiques contenus dans les muséums s’accumulent derrière les vitres. Les objets des collections de l’Écomusée de la Bintinais sont mis à l’honneur et rencontrent ceux de l’Université Rennes 1 et du Museum national d’histoire naturelle.
La troisième salle se fait encore plus grande. « En classe ! », indique ici le titre. On investit ainsi les bancs des cours magistraux. Le large espace est ponctué par de hautes reproductions photographiques, séparant les disciplines et leurs modèles : botanique, zoologie et zootechnie. Des tables sont au centre de chaque discipline, à la manière des tables de manipulation. On découvre alors à notre hauteur diverses maquettes, rappelant ainsi leur nature première d’objets manipulables. Des dispositifs audiovisuels diffusent des extraits de la célèbre émission de vulgarisation scientifique « C’est pas sorcier », animée par Jamy Gourmaud. Ces vidéos, qui procurent un instant de nostalgie, soulignent que les modèles pédagogiques sont tout à la fois proches et éloignés de nous : derniers moments de gloire d’objets déjà laissés pour compte dans les collections universitaires et les réserves muséales.
Un accent est porté sur les collections pédagogiques de Rennes, soit celles de l’Université Rennes 1, de l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation et du Lycée Émile Zola. Ce dernier établissement est tout particulièrement exploité à travers une borne interactive permettant de naviguer dans les collections numérisées : résultat d’un inventaire réalisé en 2019 ayant abouti à la mise en ligne des collections sur Google Arts & Cultures et sur patrimoine.bretagne.bzh. Un exemple qui témoigne de l’actualité des collections rennaises.
Par ailleurs, l’exposition aborde une figure importante : celle de Louis Auzoux, médecin d’origine normande. Son évocation est systématique et claire : il est le père des modèles anatomiques et a beaucoup œuvré à la pédagogie des sciences, et ce avec un retentissement international. Si Louis Auzoux est partout dans les explications des deuxième et troisième salles, peut-être finit-il par être nulle part (surtout si le visiteur survole les textes). Ainsi, aurait-il été appréciable qu’un focus lui soit accordé, afin d’en découvrir un portrait et un parcours détaillé. D’autant qu’il sera encore question de lui dans la prochaine salle…
De la pédagogie à l’art : objets de patrimoine
On s’engage ensuite dans le dernier espace de l’exposition. Celui-ci se distingue nettement. Fini le gris anthracite ; les murs revêtent un camaïeu de blanc, crème, et bois clair. On entre ainsi « dans l’atelier » : un chapitre dédié au modélisme en tant que savoir-faire et maîtrise technique. La première section aborde la fabrication du modèle pédagogique et du champ des possibles offert par les multiples matières : cire, papier mâché, verre… Une première vitrine en propose un échantillon.
La suite du parcours consiste en une étude de cas incontournable : celle de l’entreprise Auzoux, active de 1828 à 2002. Basée dans l’Eure en Normandie, l’entreprise de réalisation de modèles pédagogiques a une réputation internationale. Grâce à une production par moule, l’établissement Auzoux est une industrie prolifique. On ne peut qu’être favorablement surpris du rayonnement d’un tel savoir-faire et commerce, français qui-plus-est. Aussi, un point d’importance est accordé à la patrimonialisation de ces modèles : tombés en déclin, ils font désormais l’objet de dépoussiérage et de restauration. Un avant/après est d’ailleurs proposé à la vue – sans mauvais jeu de mot : on peut scruter les différences entre le modèle restauré et non restauré d’un œil humain made in Auzoux. Les modèles, qui ont en grande partie perdu leur fonction d’usage, sont désormais pleinement considérés comme des objets patrimoniaux, témoins de l’histoire des sciences et trésors de technicité.
Après les salles de classes scientifiques, La nature pour modèle prend ainsi dans l’atelier tout son sens artistique. La nature est finalement présentée comme une source d’inspiration pour les artistes contemporains qui, par leurs créations, véritables doublons de la nature, s’inscrivent dans les pas des artisans de modèles pédagogiques. L’exposition se clôt sur un triptyque d’artistes : William Geffroy, verrier ; Louis de Torhout, céroplasticien ; et Anne-Lise Koehler, sculptrice papier. C’est en regardant leur interview et leur travail que l’on s’émerveille une dernière fois, face à des médiums si différents mais qui, tous, subliment la nature.
Un parcours fascinant jouant de notre curiosité
Supplanté par d’autres méthodes et par le numérique, les modèles pédagogiques ont été mis au banc. L’exposition mise alors sur la redécouverte d’un objet vintage, et d’un sujet qui ne s’est, lui, jamais éteint : l’intérêt que l’homme porte à la nature et sa compréhension ou simplement sa contemplation. Le parcours joue la carte scénographique du cabinet de curiosités, collant parfaitement à la thématique mais aussi aux goûts actuels du public. On le sait, la curiosité est en vogue (1) ! La scénographie et le graphisme font sens et sensation. L’ambiance sombre et tamisée des trois premiers chapitres relève les couleurs vives des modèles ; et le mobilier ainsi que les boiseries dessinées aux murs nous plongent dans l’univers du cabinet ou dans l’arrière des classes. La taille croissante des salles illustre la découverte du vaste champ des sciences. Enfin, la clarté du dernier espace évoque l’ouverture à la contemporanéité du sujet. Ainsi, par son contenu riche et sa présentation magnétique, « La nature pour modèle » est une exposition qui pousserait les plus curieux à revenir, pour en découvrir toutes les nuances.
Un manifeste de l’Écomusée ?
Pluridisciplinaire, un pied dans l’histoire, un autre dans le vivant, “La nature pour modèle” fait écho aux fondamentaux de l’écomusée, musée de société et de patrimoine (2).
Entre histoire, sciences et arts, l’exposition témoigne de l’essentiel de l’écomusée : son caractère intrinsèquement pluridisciplinaire. L’Écomusée de la Bintinais s’attache à dresser l’histoire des modèles pédagogiques, et pour cause : ils sont encore aujourd’hui employés dans ses médiations. En outre, une touche écomuséale semble quelque peu échapper à l’exposition : l’approche participative. On aurait aimé y trouver, par exemple, des souvenirs de classes ou des témoignages d’ouvriers de l’entreprise Auzoux… Des participations que l’on retrouvera, peut-être, dans les projets futurs ?
- (1) Nombreuses sont les expositions à ce sujet. Nous pouvons citer parmi les plus récentes « Cabinets de curiosités » (Landerneau, 2019), « Dans la chambre des merveilles » (exposition inaugurale du Musée des Confluences de 2014, adaptée pour une itinérance de 2019 à 2022).
- (2) Dossier de presse de l’exposition.
Article et photographies par Juliette LEWANDOWSKI
