À l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine, je me suis rendue aux Champs Libres où divers ateliers, allant de la sérigraphie à la cartographie en passant par les lettrines, étaient proposés au public. Une visite de l’exposition temporaire Le voyage fantastique, projet de Yann Peucat, photographe en résidence au musée de Bretagne, y était également organisée.
Quelques semaines auparavant, j’étais tombée sur un post Linkedin de l’institution faisant la publicité de cette exposition. L’on y découvrait notamment la photographie des « baigneuses de menhirs » image qui résonna directement en moi puisqu’à ce moment-là, je travaillais comme guide touristique sur deux sites mégalithiques. Ce montage photographique très intrigant par son réalisme éveilla ma curiosité et je sus qu’à mon retour à Rennes, j’irais confronter mon regard à celui-ci.
J’eus ainsi la chance d’effectuer cette visite commentée seule avec Yann Peucat. Ce moment se transforma en un voyage dans l’univers créatif de l’artiste, mais également en un temps d’échange privilégié, qui me permit de mieux comprendre et appréhender sa démarche.
Uchronies visuelles, les photographies témoignent de l’habilité de Yann Peucat à mettre en image des réflexions, des instants qui ne pourraient avoir lieu in vivo. Elles résultent également d’un travail d’investigation puisque les photos utilisées, coupées, remodelées, proviennent directement des réserves du musée de Bretagne. En réemployant d’anciennes photographies, Yann Peucat offre à ces dernières un « nouveau souffle », pour reprendre ses mots. La teinte bleutée de chaque œuvre tient de la technique de tirage employée. Il s’agit en effet de cyanotype, un procédé photographique mis au point en 1842 par Frederic William Herschel, chimiste et astronome. Si cette couleur résulte d’une réaction chimique entre les produits déposés sur la surface d’impression et la lumière, elle apporte surtout une dimension onirique aux photographies.
Deux œuvres ont particulièrement retenu mon attention, la première étant celle présentant des « baigneuses de menhirs ». Yann Peucat explique avoir utilisé trois photographies : une de l’île de Houat, lieu où l’artiste a passé une grande partie de son enfance, une de récolteuses de goémon, une d’un menhir situé à Quiberon. Les mégalithes, tant ils recèlent encore de mystères, sont source de légendes, de croyances, ou encore de fantasmes. L’on racontait, il y a quelques dizaines d’années par exemple, que les menhirs présents sur l’ilot d’Er Lannic dans le Golfe du Morbihan étaient en réalité les dents du diable, que ce dernier perdit lorsqu’il fut chassé à coups d’eau bénite. Le cartel, rédigé par l’un des participants de l’atelier d’écriture estival organisé autour des photographies de l’artiste, invite également à se plonger dans une histoire mêlant fiction et récits populaires : « Et si, les menhirs pouvaient prendre un bain… Jusqu’au début du 20e siècle, sur certaines îles bretonnes, chaque famille devait à la communauté insulaire des jours de corvée. Au printemps, on prenait soin de faire prendre un bain aux pierres levées pour activer leur croissance : ce que l’on appelle la corvée des cailloux […] ».
La deuxième photographie est celle d’un marin, dont le visage est couvert d’yeux. Yann Peucat m’a confié que l’inspiration de cette production lui était venue en lisant un livre de mythologie grecque, où il avait croisé la figure d’Argus, dieu possédant sur l’ensemble de son corps un grand nombre d’yeux. Le nom du dieu sert aujourd’hui à désigner une technique de collecte de données, le système Argos, qui permet une géolocalisation par envoi de signaux à des satellites à partir d’une balise placée sur un oiseau, ou encore un bateau. C’est sur ce point que l’œuvre révèle tout son sens : elle présente un homme gardant plus d’un œil sur l’embarcation en bois présente dans le parcours permanent.
Un autre détail rend particulièrement intéressante cette œuvre : le choix d’un grand format d’impression. Il s’agit en effet du plus grand format de l’exposition. La taille d’origine des photographies de Yann Peucat étant équivalente à celle d’une carte postale, ce parti pris ne laisse d’autre choix au visiteur que d’être confronté à l’oeuvre. Le spectateur est également dérangé par les yeux répartis sur le visage du géant. On a souvent tendance, lorsqu’on échange avec autrui, à regarder la personne dans les yeux, mais lorsque ces derniers sont démultipliés, où poser le regard ? C’est une interrogation à laquelle invite le photographe.
Cette exposition temporaire est en cours d’évolution puisque l’artiste souhaite installer un dispositif permettant aux visiteurs de voir les photographies prendre vie. Par un système de QR code, il sera possible d’accéder à une animation créée par Yann Peucat qui transforme les photographies immobiles en GIFs. De quoi inviter davantage les visiteurs à voyager à travers l’imaginaire de l’artiste.
Clarisse PAULAY